Plages Vivantes et Humanités Environnementales
Groupe de recherche composé de Clavel J., Levain A., et Revelin F
L’objectif de ce groupe de recherche est de contribuer à l’étude des usages, des pratiques et des perceptions liés aux laisses de mer, qui ont évolué dans le temps et constituent aujourd’hui un objet privilégié pour comprendre le rapport sensible au littoral, à sa gestion comme à sa patrimonialisation.
À la limite supérieure des flots s’accumulent une multitude de débris (bois, coquillages, algues arrachées, organismes marins, déchets anthropiques…), qui forment les laisses de mer.
Dès lors que les pratiques traditionnelles de collecte des laisses liées aux usages agricoles et industriels se sont marginalisées, les plages semblent être de plus en plus vouées à l’accueil touristique, au détriment d’autres usages et fréquentations des habitants humains et non-humains. L’évacuation des laisses de mer tend à se justifier par l’idée que sa présence peut gêner la fréquentation touristique, voire l’empêcher.
À l’inverse l’écologie scientifique aborde ces laisses comme de véritables micro-écosystèmes accueillant une riche biodiversité spécialisée. Le fonctionnement des laisses joue également un rôle à la fois dans la fixation du substrat sableux et d’atténuation de l’effet mécanique d’érosion des vagues. Les changements climatiques risquent d’affecter doublement le socio-écosystème des plages, en transformant la composition des laisses et la résilience de ce micro-écosystème, tout en augmentant potentiellement son attractivité touristique.
Notre groupe de recherche en humanités environnementales aborde ces dynamiques complexes à l’épreuve d’un terrain commun dans le Finistère Sud : la bande littorale de Concarneau-Trégunc. Ce territoire a été sélectionné parce qu’il présente une grande diversité de configurations dans une zone relativement restreinte : un panel allant de plages urbaines très fréquentées à des plages isolées, et comprenant des sites Natura 2000, des zones de protection spéciales au titre de la Directive Oiseaux, et une diversité d’usages et de pratiques (pêche à pied, sports nautiques, plongée, randonnée nature, relevés naturalistes, etc). D’autres sites seront également étudiés en complément ou pour des enjeux de comparaison.

Dans un contexte de changements globaux (eutrophisation, changement climatique, urbanisation du littoral), la composition des communautés d’algues laissées par la mer et leurs modes de gestion évoluent fortement sur la période contemporaine. Les laisses de mer font l’objet d’une gestion qui peut être intensive selon leur quantité et leur composition, mais aussi selon la naturalité des sites et les représentations des acteurs locaux. Malgré ces forts enjeux, les déterminants de l’intensité de leur gestion sont encore peu étudiés et nous cherchons à mieux les comprendre dans leur contexte local, historique et juridique.
Les conceptions dominantes de la laisse de mer sont en effet associées à des formes de gestion spécifiques, qui ont évolué jusqu’à son écologisation récente en tant qu’habitat, milieu vivant à conserver. La laisse de mer reste toutefois l’objet d’une gestion intensive, d’une part car elle est associée à une image négative chez certains usagers de l’estran et à des expériences symboliques et sensorielles de rencontre avec le processus de décomposition qui restent problématiques pour beaucoup.
La gestion des laisses de mer regroupe un ensemble de pratiques liées au nettoyage, à l’entretien et à l’aménagement des plages. Elles peuvent aller de la recherche d’une limitation des interventions dans les processus naturels de décomposition et d’accumulation (absence de ramassage), jusqu’au ramassage mécanique de l’entièreté de la laisse de mer, en passant par le ramassage sélectif de quelques éléments de celle-ci. La diversité des pratiques est par ailleurs associée à une forme de zonage implicite du littoral, en fonction de son accessibilité, des usages dominants (notamment, de la présence d’un tourisme balnéaire), mais également du statut de ces espaces et de la domanialité applicable.
L’étude des caractéristiques et transformations contemporaines de la gestion des laisses de mer menée par le collectif Plages Vivantes-Humanités Environnementales s’est construite à partir de deux dispositifs parallèles de recueil de données :
1. Des enquêtes qualitatives localisées sur le Finistère, permettant de documenter de façon précise les interactions entre usagers des plages, gestionnaires, dispositifs de gestion et laisses de mer, en prenant en compte la dimension matérielle et située de ces interactions ;
2. Une enquête par questionnaire à destination de l’ensemble des acteurs.trices de la gestion des littoraux sableux de France hexagonale et des Outre-Mers.
1. Les enquêtes qualitatives sur la gestion des laisses de mer
En 2019, des enquêtes qualitatives préliminaires ont été réalisées pour mieux caractériser la nature de ces pratiques, leur diversité et leurs transformations. Dans le cadre de leur stage de Master 1 Gestion des territoires et développement local de l’Université de Bretagne Occidentale, Quentin Galliou et François Le Pellec se sont attachés, à partir du cas des littoraux sableux de Brest (Finistère) et des communes environnantes, à clarifier les conditions juridiques, organisationnelles et techniques dans lesquelles s’effectuent les opérations de ramassage des laisses de mer menées par les collectivités locales.
Ce travail a nourri l’enquête ethnographique menée par Axel Robin, lors d’un stage de Master 2 Environnement, développement des territoires et sociétés (Muséum national d’Histoire naturelle) dans les mois qui ont suivi. Les observations in situ réalisées au plus près des laisses témoignent de leur grande hétérogénéité temporelle et spatiale. Ce que laisse la mer sur les plages est composé d’une hétérogénéité d’entités vivantes ou non, d’origine anthropique ou non, proche ou lointaine. Cet assemblage fait l’objet d’une décomposition biologique plus ou moins longue selon des facteurs écologiques reliés à chaque substance qui compose la laisse de mer. Celle-ci possède donc une temporalité biologique et écologique à la fois singulière et complexe.
Sur le terrain étudié (le littoral des communes de Trégunc et Concarneau), la gestion des laisses de mer se transforme depuis une dizaine d’années : l’enquête montre que de nouveaux acteurs prescripteurs interviennent dans la reconnaissance de la valeur de ces écosystèmes, que des communautés locales d’experts apparaissent et prennent position dans le débat public, et que la question de la propreté des plages est envisagée de manière très hétérogène au sein des Conseils municipaux ou parmi les usagers des plages. L’agencement des spatialités et des temporalités sociales et écologiques pose ainsi question : en témoigne la densité des débats qui ont émaillé localement la saison touristique 2019 à Concarneau, et dont le mémoire rend compte avec précision.
2. L’enquête nationale par questionnaire « Gestion des dunes, hauts de plage et estrans »
Dans le cadre de Plages Vivantes sont développés des protocoles de collecte de données sur les écosystèmes des dunes, hauts de plage et estrans, qui sont à la fois accessibles à tous et suffisamment précis pour appuyer la recherche scientifique. C’est dans ce même esprit que l’équipe Humanités Environnementales a construit avec Rivages de France, association qui fédère et anime nationalement le réseau des gestionnaires d’espaces naturels littoraux protégés, l’enquête « Gestion des dunes, hauts de plage et estrans ». L’implication des équipes de recherche qui l’ont conçue, des partenaires qui l’ont enrichie, des étudiant.e.s et jeunes chercheur.e.s qui l’ont jusqu’à présent passée sur le terrain, de l’ensemble des gestionnaires et acteurs.trices des plages qui prennent le temps d’y répondre permettent de récolter des informations riches et inédites, qui témoignent de la diversité des pratiques de gestion, de la complexité des enjeux auxquels elles s’efforcent de répondre, mais aussi de la force des attachements qui lient les gestionnaires aux plages et de leur engagement pour que ces écosystèmes fragiles restent et soient reconnus comme des milieux vivants.
Cette enquête est toujours active, vous pouvez y accéder en ligne et y répondre ici. Votre participation est précieuse !
Conçu comme un outil partagé d’approfondissement des connaissances et d’observation longitudinale des transformations de la gestion, le questionnaire de l’enquête est réutilisable par toute personne en faisant la demande auprès de Plages Vivantes (formuler une demande d’accès au questionnaire).
Les résultats de la première campagne (2018-2020), qui a porté principalement sur le littoral Mer du Nord-Manche-Atlantique et permis de collecter 104 réponses, ont fait l’objet d’une première restitution lors du 3ème webinaire Des Vies avec des Plages le 18 mai 2021, et de la publication d’un rapport d’enquête (Levain et al. 2021).
L’ensemble de ces travaux sont dirigés par Alix LEVAIN, chargée de recherche CNRS à l’UMR AMURE, en partenariat avec le groupe de recherche PVHE.
Coordination de PVHE : Joanne Clavel